Ferdinand le petit âne
J'ai emprunté le nom de ce petit âne
qui, régulièrement, rend visite à l'abbaye parce qu'il accompagne un pèlerin en
route vers St Jacques, à un livre que je ne peux que vous recommander et qui
dit tout du chemin, et de cet étrange énergumène que l'on appelle un pèlerin, à
moins que ce ne soit un pérégrin : « Il est un beau chemin semé d'épines et
d'étoiles » - le voyage de Compostelle avec le petit âne Ferdinand » de Jacques CLOUTEAU.
En exergue le petit âne dit la chose
pertinente suivante : « Moi, Ferdinand, roi des Ânes et roi
d'Aragon, j'ai traîné un fêlé sur 1700 kilomètres sur le
chemin de Compostelle du Puy en Velay à Santiago, et c'était bien... »
Cela m'a inspiré, alors que j'étais à
Conques, voyant arriver, au fil des jours, ces fameux fêlés, que nous sommes
tous, ces quelques mots que me soufflait l'âne Ferdinand alors que je le
conduisais au pré des moines au-dessus du Dourdou.
Ferdinand, le petit âne est un drôle
d'animal qui porte sur cette singulière espèce humaine des pèlerins, un regard
sans nuance, mais non dénué d'une certaine tendresse.
Ferdinand, le petit âne, parle pour
son maître, qui trouve qu'il pleut trop, que la nourriture est mauvaise, ou insuffisante,
qu'il y a trop de ronfleurs. Bref Ferdinand râle pour un oui ou pour un non.
Mais Ferdinand, le petit âne,
s'attendrit quand il voit partir un pèlerin, à moins que ce ne soit un
pérégrin, vêtu de sa seule bure, de son bourdon et d'un grand sourire qui
l'habille si magnifiquement. Un vrai seigneur. Il marche depuis si longtemps
qu'il ne sait quels siècle il a déjà traversé. Mais Ferdinand, le petit âne,
est content parce que, pour lui, c'est le vrai sens du chemin, se dépouiller du
superflu, puis du nécessaire, pour ne rester qu'avec lui-même.
Et Ferdinand, le petit âne, s'esbaudit
de ces pèlerins sur leurs drôles de machines dont il se demande comment ils
font pour ne pas tomber, et il s'inquiète pour eux de la longueur de la
longueur, et de la dureté des pentes.
Ferdinand n'a toujours pas compris
pourquoi ces étranges marcheurs peuvent, parfois, emmener avec eux leur propre
animal domestique, par exemple ce brave chien qui aura fait deux fois le
parcours, et qui dort aujourd'hui au chenil de l'abbaye, terrorisé par le bruit
de la débroussailleuse qu'actionne vigoureusement un hospitalier déchaîné.
Ferdinand, le petit âne, s'étonne de
l'énergie déployée pour exterminer les punaises de lit, si petites que l'on ne
les voit pas. Mais il comprend Ferdinand et il ne veut surtout pas juger. Il se
dit, malgré tout, que ces beaux sacs plastiques transparents finiront quelque
part dans la nature, et cela il n'aime pas si, d'aventure il devait, par
inadvertance les brouter.
Les humains, et singulièrement les
pèlerins sont d'une espèce particulière. Ils parlent entre eux de noms de
villes et de villages, s'expriment par signes et onomatopées ; consultent
d'étranges grimoires qu'ils appellent des topoguides, puis se précipitent sur
une bible très profane, le "miam-miam dodo" allez comprendre une
telle langue. Ils s'enferment ensuite dans leur monde fait de signes de
reconnaissance, de confidences et même de vantardises : « j'ai fait
le Norte ; non, moi c'est le Primitivo ; je suis allé à Jérusalem ;
la Via della Plata c'est ma dernière rando."
Et puis, ce matin, Ferdinand le petit
âne, du haut de son mètre au garrot, n'en revenait pas ; ce barbu
chevauchant ce qu'il appelait un « vélocipède » et qui ressemblait à
une fusée martienne, avait traversé l'Afrique de Gibraltar au Cap en 345 jours
et 20000 kilomètres.
Ferdinand le trouvait un peu fêlé,
mais comme son maître semblait content d'avoir rencontré un « pays »,
il n'osait rien dire, mais n'en pensait pas moins. Ils sont tous un peu
cinglés, pensait-il, avec une certaine admiration malgré tout, en songeant à
cette vieille dame indigne de 80 ans qui marchait grand train vers Santiago.
Et puis Ferdinand, le petit âne, était
content parce que, si son maître était un peu fou, il lui faisait voir des
belles choses sur ce chemin « semé d'épines et d'étoiles » Et la
« folie » rend possibles des choses que l'on ne ferait pas autrement,
à vouloir tout calculer. Partir, cela lui plaisait à Ferdinand, le petit âne, y
compris, et d'abord, à cause et pour l'imprévu. Il faisait sienne cette belle
maxime qui préside au chemin : « quand on part en voyage, le plus dur
est de franchir le seuil ! »
Ne me dîtes pas, après cela, que
secrètement, vous ne vous êtes pas, toutes et tous retrouvés dans ce que dit,
si justement ce brave Ferdinand, le petit âne.
Henri ROUSSEL <rousselh@hotmail.fr>
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MERCI !
Merci à Henri ROUSSEL qui nous a confié ce texte pour que nous le partagions avec les lecteurs de notre blog ! N'hésitez pas à nous envoyer, vous aussi, vos textes et photos à ultreia06@laposte.net
Marc UGOLINI
Président-Délégué
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