vendredi 10 mars 2023

Témoignages d'Henri (II): Rien

Nous partageons avec vous les récits d'Henri, véritables témoignages d'un hospitalier engagé. Nous avons commencé avec un premier récit qui nous a fait voyager à Conques, et vous proposons de continuer la lecture avec un récit qui porte un titre très original. Bonne lecture!

Rien

Ne croyez pas que ce rien soit celui de Louis XVI au soir du 14 juillet. Ce rien-là est fait de tous petits riens qui sont une journée, des moments de sérénité , de partage, quand les pèlerins arrivent, quand, le soir, à l'heure du dîner , on échange à bâtons rompus, c'est le cas de le dire. Le sac à dos est rangé dans le local à bagages, les bâtons sont oubliés et, la douche prise, on se laisse aller à la conversation autour d'une grande salade de tomates et thon, puis de lentilles à la saucisse de Morteau, et au fromage blanc agrémenté des confitures des sœurs : un régal.

Au menu des invités du soir, une grenobloise qui est partie de St Jean Pied de Port et remonte d'un pas, apparemment de sénateurs, parce qu'elle est paisible, mais en réalité à grand train si l'on considère la longueur des étapes quotidiennes. Deux sœurs de Nancy, ayant dépassé l'âge respectable de 78 ans, mais fort gaillardes, même si elles savent adapter les étapes à leurs artères. Un toulousain en préretraite, grand bavard (comme moi !) devant l'éternel et s'étonnant et s'émouvant de tout . Deux jeunes femmes tatouées et de conversation fort instructive, faisant partie de cette génération qui privilégie une vie de liberté, loin des contraintes. L'une, dans son domaine de compétences, lié au social, ayant considéré qu'elle devenait maltraitante, par la charge de travail demandée, a préféré prendre du recul par une mise en disponibilité et l'appel du chemin pour se ressourcer.

La conversation s'est poursuivie tard dans la soirée et chacun est allé se coucher pour une étape longue attendue, qu'ils aillent vers Rocamadour, ou vers Cajarc par le GR 65. Nous nous sommes assis sur un banc, face au Célé dans la brise du soir. Un colvert est venu réclamer sa pitance; de l'autre côté de la rivière un bar beuglait une musique sourde mais puissante qui se prolongea tard dans la nuit.

D'aucun se demande ce que nous faisons avant midi, une fois le petit déjeuner passé, les trois lessives faites et les locaux nettoyés une fois les lits réinstallés : les courses bien sûr . Mais le nez au vent, à l'affût des merveilles non encore découvertes dont je vous donne un aperçu; un escalier dérobé, un tableau oublié au fond d'une cour, une Vierge à l'enfant en coin de rue; et tant d'autres choses dont on ne peut se lasser. On devine les restes d'une large baie romane avec ses fines sculptures sur les chapiteaux, et l'on rêve de les restituer dans leur forme originelle. Mais la ville a accompli un travail fantastique de mise en valeur de son exceptionnel patrimoine. J'allais oublier: un rituel devenu quotidien, le café croissant sur la place Champollion, tandis que le peintre, assis à sa table habituelle, continue ses croquis à l'encre rouge.



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