lundi 4 mars 2019

Un témoignage de pèlerin sur le chemin de St Jacques de Compostelle




Marcher sur le chemin de St Jacques de Compostelle


Une quête, un chemin initiatique jalonné de signes, de rencontres mystérieuses, d’épreuves, où les éléments et les hommes se conjuguent pour dépouiller le pèlerin d’abord du superflu, puis du nécessaire, pour enfin, selon la loi du chemin, le laisser à Santiago, seul devant le Seul.

Jocelyne et Henri ROUSSEL de Tichey ont marché sur le chemin de Compostelle entre Cluny et St Jacques. Ce sera ensuite Nice Rome, puis le chemin d'Assise, Lisbonne St Jacques et Séville St Jacques entre 2013 et 2017, enfin Irun Cap Finisterre en 2018.

Pouvez-vous nous parler de votre expérience ?

Il est, dans ce domaine, difficile de faire partager son expérience, tout au plus suggérer quelques conseils pratiques.
Le premier d'entre eux, et le plus impératif, si l'on veut marcher loin, est de marcher « léger ». Pour une femme le sac ne devrait pas dépasser 7 kg, pour un homme 10 kg, étant entendu qu'il faut prévoir le ravitaillement en eau et la nourriture pour la marche. L'autre conseil est relatif aux chaussures : inutile de s'encombrer de chaussures pour la montagne, et s'en tenir davantage à des équipements de marche que l'on trouve dans tout magasin de sport, chaussures basses accompagnées en revanche de chaussettes adaptées.
Marcher « léger » c'est aussi ne pas transporter un duvet, inutile dans tous les cas, et s'en tenir à un « sac à rêves » comme le disent si joliment les québécois, autrement dit un sac à viande. Eviter de la même manière toute tente ou équivalent.
Le chemin de Compostelle n'est pas une épreuve physique insurmontable, l'entraînement s'acquiert au fil des jours en augmentant progressivement les distances parcourues. L'aspect psychologique est plus important surtout si l'on « voyage » seul. Suivant le temps dont on dispose, on peut tronçonner la marche sur plusieurs années en prévoyant des objectifs atteignables, par exemple Conques, puis Moissac, puis St Jean Pied de Port.

Que vous a apporté le chemin ?

Une citation me semble résumer ce que l'on trouve sur ce chemin : « Si vous devez mourir demain, sur ce chemin, dites-vous que votre vie sera accomplie pleinement car vous seriez mort en état de recherche absolue. Et, lorsque vous serez revenu chez vous, dites-vous que vous serez encore sur le chemin et que vous y serez désormais toujours car c'est un chemin qui ne connaît pas de fin. Sachez-le et ne l'oubliez jamais »

Je suis désormais le premier à vouloir repartir, explorer d'autres chemins, monter de Séville vers Santiago par la Via de la Plata. Je veux ressentir à nouveau ces angoisses nocturnes qui vous réveillent quand vous vous demandez si vous serez capables de repartir avant l'aube blanchissante ; je veux retrouver cette exaltation des fins de journée à l'arrivée de l'étape quand l'on se retourne vers le chemin parcouru ; je veux danser et chanter sous les frondaisons d'eucalyptus en Galice, écouter monter des profondes vallées les cloches des troupeaux rentrant à l'étable ; je veux m'émouvoir en pénétrant dans le silence des églises romanes et m'extasier au pied des tympans historiés qui sont des livres ouverts sur le sens de la vie. Nous avons traversé des paysages, je les ai presque photographiés dans ma tête ; j'ai gardé dans ma mémoire un chemin montant dans l'or des genêts et le pourpre des bruyères, une église abandonnée perdue dans l'océan des blés, j'entends siffler  le vent et claquer une tôle dans ce village du Far-West quelque part au fond de la Meseta. Je vois fondre l'averse sur nous, les grandes meules de paille dans le soleil levant tandis que nos ombres s'allongent devant nous sur le chemin en direction de Los Arcos. Les éoliennes, en fond de décor, nous aspirent, tendus que nous sommes vers l'horizon, au-delà de la barre rocheuse derrière laquelle se cachent l'étape et le gîte. J'ai exulté quand, le soir venu, sans attendre le moment de la douche, je courais à la découverte du nouveau lieu où nos pas nous avaient menés. Je ne sentais plus la fatigue des longues heures de la route ; je voulais ne rien manquer de ce que ce temps privilégié nous offrait.

Avez-vous été marqués par de belles rencontres ?


Gilbert CESBRON disait la chose suivante : «  Et je me demande soudain si tous les instants qui justifient une existence ne se résument pas à cela : un regard qui en rencontre un autre, un rendez-vous d'âmes égales, un jalon pour l'éternité »

Oui nous avons fait de très belles rencontres ; j’en citerai une se situant l'avant-veille de notre arrivée à Santiago. Il est trois heures de l'après-midi, le soleil plombe et nous avons déjà parcouru plus de 30 kms. Nous n'avons plus d'eau. Dans une montée, après un ruisseau à sec une vieille femme s'approche, et nous tend cette bouteille à laquelle nous aspirions si fort. Seuls les regards parlaient et le sourire de cette personne nous a accompagnés pour toujours.
L’autre rencontre est celle de cette femme à Burgos alors que nous attendions l’ouverture du gîte au chevet de la Cathédrale. Je touche (bouscule ?) une jeune femme en heurtant sa chaussure. Elle émet alors un hurlement déchirant qui se prolonge à un point tel que je finis par me dire qu’elle exagère. Elle nous montrera très vite la cause de cette souffrance qui était tout sauf feinte ; en relevant le bas de sa chaussette elle nous laisse voir un membre dont il ne reste pratiquement plus qu’un os couvert d’une peau bleuâtre. Et elle marche ainsi, depuis des jours, le sourire aux lèvres comme si de rien n’était, en ayant toujours un mot aimable, une parole de réconfort pour les marcheurs en perdition ou en souffrance !

Jean Jacques GOLDMAN le chanteur résume bien ce que sont ces rencontres sur le chemin : « J'ai laissé des bouts de moi au creux de chaque endroit. Un peu de chair à chaque empreinte de mes pas, Des visages et des voix qui ne me quittent pas, autant de coups au cœur et qui tuent chaque fois »

« On ne peut asservir l'homme qui marche », disait Henri VINCENOT


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