LE BILLET D'UN HOSPITALIER

"IMPRESSIONS CONQUES"

On pourrait parler, parfois, 'd'impressions Soleil couchant' tant les défis qui attendent l'abbaye sont nombreux. Je pensais hier au sort de la Maison d'Abraham qui, depuis des mois, subit un lourd confinement. Ici rien de tel si ce n'est l'avenir de tous les services d'accueil restauration et hébergement. Comment tenir quand le nombre de convives devient verrouillé ?

Fantasmagorie d'une nuit de début d'automne quand le brouillard, succédant à la pluie enveloppe les tours Baraban de l'abbatiale, la noyant d'un manteau blanchâtre, d'où surgit la polychromie du portail jaillissant d'un passé qui nous semble, d'un coup, si familier. Les "curieuses" sur l'arc supérieur regardent avec étonnement la foule qui s'amasse, le christ dans sa mandorle contemple, bénit, et sauve les âmes. Sa tunique a les couleurs de l'azur, et les étoiles éclairent de leur or scintillant la scène qui se déroule aux pieds du Christ.: le rouge de l'agonie d'un côté, de l'autre les douces couleurs des appelés . A la droite du Christ les ressuscités, et les nobles et princes qui espèrent la rémission. Quand le tympan s'illumine, alors le sens profond du message apparait dans toute sa clarté et son évidence. Moment de recueillement. Je suis heureux.

 

 Demain nous prenons à cinq le commandement, les rênes pour administrer, recevoir, nettoyer et sustenter des pèlerins affamés et épuisés. Les frères emmènent tous les salariés en goguette mais, pour l'occasion nous aurons la moitié des dortoirs seulement, et un tiers des chambres. Les repas seront à l'unisson.

Il pleut en ce premier jour de l'automne, temps humide et froid; les couvertures sont demandées mais il n'y en pas assez. Le Titanic manquait de canots de sauvetage en avril 1912. Comparaison ne vaut pas raison malgré tout.

 Dans les couloirs de l'abbaye erre un brave québécois qui a perdu sa femme et son chemin. Il a 82 ans, croit avoir oublié son "cellulaire", autrement dit son téléphone, crie puis s'excuse quand je lui retrouve le dit objet et sa "jacket" bleue.IL faut lui réserver une chambre dans un gîte à 20 kms, j'ai une idée sur la question, puis confirmer le transport de bagage. Alors il repart dans le couloirs, ne retrouve pas son dortoir que l'on a ouvert pour lui seul. mais il finit par sourire.

Il est 19h et la pluie continue à tomber; un étrange véhicule apparaît, sorte de tandem mais deux fois plus gros et sophistiqué. Le jeune couple a fait 80 kms en partant de St Chély. On admire, mais le bruit qui s'échappe de la salle à manger ne laisse aucun doute sur le fait qu'i est urgent de gagner sa place dans la pièce où se déroule le  repas.  Un tryptique en fond de décor, latéralement les vitraux de l'abbatiale avant Soulages et sur le mur nord-ouest de larges fenêtres ouvrant sur le couchant et le vallon escarpé noyé dans la tourmente du soir.

 Un peu plus tard, il est 21h, il faut descendre la voiture à l'entrée du village pour la livraison des légumes de la semaine; le commerçant ne peut aller au chevet de l'abbatiale.  Le brouillard monte et envahit la place et parvis de l'abbatiale, prolongeant la magie du lieu.

 En haut, en bas: Valparaiso !! J'ai gravi 600marches, c'est peu mais lourd à certaines heures. Ce matin c'étaient les panières à 65 marches par exemple. Mais cet été je ne renouvellerai pas les ascensions les plus dures.

 Mon lit ouvre sur le nord; la Grande Ourse et l'étoile polaire.Je contemple la nuit et je suis heureux. J'ai traversé le transept nord, jeté un oeil furtif sur la croisée, puis sur le christ de Goudji. Temps de l'apaisement.

 Ainsi va la vie à Conques; je me déchaîne parce que le temps passe vite, mais je suis conscient que je ne pourrai maintenir un tel rythme "ad vitam aeternam". Je profite de l'instant, vécu intensément.

 22h20, il est l'heure  d'aller se doucher et se coucher. dans quatre jours je descendrai la rue principale en contemplant le brouillard montant du vallon. L'automne  est bien là. Et je serai de retour à la maison.

 ROUSSEL Henri et Jocelyne