Un éclairage sur le thème du Don, de la gratuité, du donativo, dont nous parlons souvent dans le cadre de l'accueil jacquaire, nous est donné dans ce texte d'Enzo Bianchi dans "Don et pardon" (Éditions Albin Michel 2015), texte que m'a communiqué notre ami, Jean-Claude DESMIDT , fondateur des Rencontres CLEOPHAS.
Il commentera ce texte lors de la Rencontre Cleophas du mois, le 12 février 2018, à Gilette.
Il commentera ce texte lors de la Rencontre Cleophas du mois, le 12 février 2018, à Gilette.
Don et gratuité
Parler de don
signifie donner gratuitement : sans échange, sans contrepartie, sans
création de dette, sans réciprocité. Il n'y a pas de don sans gratuité. Je
voudrais alors simplement rappeler que l'essence du christianisme se trouve
dans l'annonce non seulement de l'amour
qui vainc la mort, mais d'un amour gratuit , que la tradition chrétienne
appelle la « grâce ». La grâce – chen en hébreu, chάris
en grec, gratia en latin – est faveur, bienveillance, amour qui n'a
pas à être mérité : c'est un amour qui devance tout, un amour que Dieu
répand gratuitement sur les hommes, et qui est impensable comme événement
humain. De cette manière, lorsqu'il devient événement, il permet que « là
où le péché a abondé, la grâce a surabondé » (Rm 5, 20) ; c’est là
l’œuvre de l'amour gratuit, libre, inconditionnel, fidèle pour l'éternité. Cela
est bonne nouvelle, évangile : l'amour de Dieu ne doit pas être mérité, il
nous précède, il nous rejoint avant que nous puissions faire quoi que ce soit
pour le mériter ! Plus encore, Dieu nous aime alors que nous sommes
pécheurs, il nous aime simultanément à notre condition de pécheurs à son
encontre lorsque nous le nions (voir Rm5, 6-10)
L'amour de
Dieu pour l'humanité entière (voir Jn 3,16 : « Dieu a tant aimé le
monde qu'il a donné son Fils unique ») est un amour dont on ne peut
s'acquitter. C'est ce qu'affirme une ancienne anaphore qui nous livre en un
seul verset tout le le mouvement engendré par la gratuité : « Nous te
rendons grâces, Seigneur, nous tes serviteurs faibles et misérables, auxquels
tu as accordé ta grâce qui ne peut être payée en retour », (Anaphore
d'Addaï et Mari). L'homme rend grâces , il accueille la grâce et la
reconnaît, mais cette gratitude ne précède ni ne détermine le don de Dieu qui
est gratuit, qui ne trouve sa source que dans son amour pour nous les humains.
Cette annonce
doit être affirmée ainsi, dans sa nature
bouleversante : Dieu nous aime le premier, il nous aime gratuitement, il
nous fait don de tout ce qu'il a et de tout ce qu'il est, non pas afin que nous
l'aimions en retour, mais afin que nous nous aimions entre nous, afin que
j'aime les autres du même amour gratuit. Il y a une autre parole de Jésus que
je voudrais rappeler à ce propos : « Comme le Père m'a aimé, moi
aussi, je vous ai aimés […] Comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les
autres » (Jn 15, 9-12). Aucune réciprocité, aucune symétrie : je te
donne non pas pour que tu me donnes en retour, mais afin que tu donnes aux
autres ! C'est une dynamique sans retour, un recommencement continuel de
l'amour gratuit : « Vous avez reçu gratuitement, donnez
gratuitement ! » (Mt 10, 8).
Assurément,
pour entrer dans la logique du don et de la gratuité, il faut apprendre à
recevoir, à accueillir le don : s'il n'y avait pas la capacité de recevoir,
il n'y aurait pas davantage la gratitude, il n'y aurait pas la capacité de
reconnaître l'autre grâce auquel je m’humanise. Ce que je suis, je le dois aux
autres : cette reconnaissance est la gratitude, la conditions où l'on
apprend à aimer en luttant contre toutes les pulsions destructrices que sont la
peur, la jalousie, le narcissisme,le calcul. Je sais bien que, malheureusement,
le christianisme lui-même est devenu – et on le présente souvent encore ainsi –
une religion où l'on accomplit des actions en échange d'un mérite, d'un prix où
l'on donne en échange et d'une rétribution, mais il s'agit là de la perversion
de la « bonne annonce » de l'eu-angelion. Soit le salut est
gratuit, soit ce n'est pas le salut chrétien, ou même ce n'est plus le salut!Qui
salvandos salvas gratis, « Toi qui sauves gratuitement ceux qui
doivent être sauvés », comme on le chante dans le Requiem !
Non seulement
le don est gratuit, mais le donateur œuvre aussi , par sa présence, de manière
gratuite, et cette gratuité est reliée à la liberté du destinataire du don. Non
seulement le don de Dieu est grâce, mais Dieu lui-même est gratuit : il
n'est pas nécessaire pour l'homme, qui peut entrer en relation avec lui dans
l'espace de la liberté, sans être déterminé par la nécessité de devoir se tenir
devant Dieu. Le Dieu chrétien n'est pas celui du théisme, garant nécessaire de l'ordre cosmique, moral et politique ; c'est un Dieu qui, par
amour et dans la liberté, offre son alliance aux humains, qui ne peuvent que
répondre librement et et par amour. Cette gratuité de Dieu incite les hommes à
vivre leur existence en frères, en se reconnaissant les uns les autres comme
des êtres humains, rien de plus, mais en étant capables de relation et d'amour.
L'image de Dieu en l'homme (voir Gn 1, 26-27), en effet, ne disparaît jamais,
pas même quand ce dernier ne reconnaît pas Dieu, qu'il ne discerne pas ses dons
et qu'il ne lui répond pas.
Enzo Bianchi Don et
pardon Éditions Albin
Michel 2015
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